APELA

Association Pour l'Étude des Littératures Africaines

Activismes et esthétiques queer dans les littératures africaines

Congrès de l’Association pour l’étude des littératures africaines

Humboldt-Universität zu Berlin 22-24 septembre 2021

Plus d’informations sur le site du colloque ici.

Les propositions de panels (quatre communications rassemblées au maximum) ou de communications (titre et résumé d’une page maximum) sont attendues pour le 30 novembre 2020 au plus tard, accompagnées de vos nom, prénom, affiliation et contact électronique.
La langue principale du congrès sera le français, toutefois il est possible de proposer des communications et panels en anglais. Veuillez adresser vos propositions à :
iaaw.queer.apela@hu-berlin.de

Appel à communication

Depuis une vingtaine d’années, on constate une visibilité grandissante des représentations des sexualités et plus généralement des identités non hétéronormées dans les littératures africaines, ainsi que dans les arts et le cinéma d’Afrique. L’inscription d’un désir homosexuel dans l’histoire littéraire africaine précède toutefois largement les productions contemporaines, comme en atteste la monographie de Chantal Zabus Out in Africa. Same Sex Desire in Sub-Saharan Literatures and Cultures (2013). Dans un contexte où l’homophobie grandissant dans certains pays africains se traduit par une répression pénale exacerbée, tandis que d’autres au contraire abolissent des lois discriminatoires, il n’est pas surprenant que la thématique produise un corpus à la fois esthétique et activiste, partant de deux perspectives différentes pour approcher les conflits mentionnés. Avec les récents projets collectifs de témoignage tels que Stories of Our Lives. Queer Narratives from Kenya (2015) ou encore She called Me Women. Nigeria’s Queer Women Speak (2018), le concept de queer d’origine politique aux États-Unis, fait de plus en plus son entrée dans le vocabulaire activiste en Afrique.
L’activisme et la pensée queer ont surgi aux États-Unis au tout début des années 1990, au moment où la pandémie du SIDA frappait durement la communauté homosexuelle et exacerbait encore plus l’homophobie latente. Reprenant une insulte homophobe récurrente forgée à partir d’un terme qui désigne le bizarre, l’atypique, le hors-norme, le mouvement « queer » s’est distingué très tôt par son mode d’action festif et transgressif. Cherchant à penser ensemble genres, sexes et sexualités, et inspirées par les travaux de Michel Foucault, Judith Butler et Eve Sedgwick, les théories et études queer se sont rapidement développées dans les pays anglo-saxons. Elles se caractérisent par le refus d’une posture identitaire stable, plus particulièrement binaire hétéro/homo et homme/femme, pour penser au contraire les processus émancipatoires et utopiques charriés par des pratiques et des corps défiant les normes, les institutions et les catégories caractérisant l’ordre patriarcal.
Utilisée dans diverses disciplines des sciences humaines et sociales, de la philosophie aux études de genre en passant par l’histoire et la littérature, souvent appliquée comme une méthode particulière de critique et de déconstruction des textes ou des sources (en anglais, « to queer » devient alors un verbe, et « queering » une action) les études queer sont aussi régulièrement critiquées pour leur dimension occidentale, masculine, élitiste et blanche et sa difficulté à s’articuler aux autres luttes contre les discriminations, notamment raciales.
À un moment où s’expriment de nouvelles exigences pour la décolonisation des institutions de savoir, des méthodes de recherche et des curricula scolaires et universitaires, quels peuvent être les apports des théories queer dans la lecture et l’analyse des littératures africaines ? La généalogie américaine et ‘blanche’ du mouvement queer peut-elle être contestée par une attention plus grande portée aux discours élaborés et aux luttes menées à la fois par et sur les représentants du continent africain et par les diasporas africaines du monde entier? À partir, mais aussi au-delà des questions de non-conformité des identités de genre et des pratiques sexuelles telles qu’évoquées dans les littératures africaines (mais également dans la photographie, la peinture, et le cinéma), quelles sont les possibilités ouvertes par la pensée queer pour évoquer à la fois les processus disciplinaires forgeant les corps, les désirs et l’intime et leurs transgressions de la norme dans les sociétés africaines ?
Ce congrès propose une exploration des littératures, du cinéma et des arts performatifs africains de toutes les langues et de toutes les régions d’Afrique y compris le Maghreb et les diasporas, au prisme des théories, activismes et esthétiques queer. Il s’agira tout autant d’aborder un corpus encore peu usité dans la recherche francophone, que d’analyser le lien entre esthétique, savoir et activisme dans le contexte des luttes pour la reconnaissance des homo- et transsexuels et d’autres minorités sexuelles et de genre en Afrique.

Congrès APELA 2021 appel à communication


1.     Activismes

Le mouvement queer se veut résolument militant, offrant un questionnement radical du rapport entre l’intime et le politique. En Afrique, la question du legs colonial se pose de façon aiguë lorsqu’il s’agit de penser tout à la fois l’appareil judiciaire et répressif protégeant ou, au contraire, exposant les minorités sexuelles ou transgenre.

A.     Homophobie et transphobie

La lutte contre l’homophobie et la transphobie fut au cœur de l’émergence d’un activisme queer fustigeant les processus d’exclusion et les violences perpétrées contre les minorités sexuelles et de genre. En Afrique, une des premières manifestations de cet activisme prit corps en Afrique du Sud, lorsque les militants homosexuels et les militants anti-apartheid s’allièrent au début des années 1990 pour contester le régime raciste et patriarcal de la minorité blanche. Depuis, la question des droits des minorités sexuelles est prise en étau entre legs colonial (particulièrement l’existence de lois condamnant les pratiques homosexuelles datant de la période coloniale) et impérialisme culturel (l’influence réelle ou supposée de réseaux transnationaux encourageant les mobilisations et manifestations LGBTQI+). Comment les littératures africaines se sont-elles emparées de ces luttes ? Comment se sont-elles articulées aux autres combats menés par les écrivains, artistes et intellectuels africains, au lendemain des indépendances ?

B.     Hétéronormativité

Les luttes nationalistes menées en Afrique contre la domination coloniale et pour la construction d´États indépendants ont souvent reposé sur un hétérosexisme exacerbé, où la famille hétérosexuelle était présentée comme le socle naturel des nouvelles nations. Dans les contextes de luttes armées anticoloniales en particulier, les stéréotypes de genre renvoyant les femmes à leur rôle de mère et de gardienne des traditions, et les hommes à leur nature guerrière au service de la patrie ont été mobilisés à la fois par les acteurs étatiques et culturels. La recherche d’une posture digne, preuve des capacités des populations africaines à prendre leur destin politique en main, a participé à la naturalisation et au renforcement d’une hétéronormativité pensée comme un démenti aux accusations de dépravation et de bestialité centrales au discours colonial. Comment cette articulation de l’intime et du familial au projet d’émancipation national a-t-elle été pensée, déconstruite ou critiquée par les littératures africaines ? Quels sont les dispositifs de la sexualité qui forment le canon littéraire africain ?

C.     Transgression et déviance

La pensée queer se veut essentiellement anti-identitaire et contestataire, rejetant à la fois les processus d’assignation d’une identité figée et les luttes au nom d’une identité particulière. Quel(s) rôle(s) joue la transgression des normes de genre et de sexualité dans les littératures et les arts africains ? Comment sont-elles pensées en relation avec des mécanismes traditionnels plus fluides qui ont été identifiés dans certaines sociétés traditionnelles par des anthropologues telles qu’Oyerónké Oyewùmí ou Ifi Amadiume, qui mettaient en avant l’importation coloniale des identités de genre et du modèle patriarcal excluant les femmes de la sphère publique ?
Plus largement, quelles voies théoriques, philosophiques et militantes peuvent être ouvertes par une perspective croisée entre études queer et études africaines, notamment pour penser le refus de l’assignation identitaire et le legs des stéréotypes coloniaux et eurocentristes ?  Dans quelle mesure les études queer, et notamment la façon dont elles se sont emparées de la question du spectre et de la spectralité (Freccero 2006) peuvent-elles permettre d’appréhender les mémoires traumatiques ?

2.     Esthétiques et concepts queer

A.    Le Carnavalesque

Pour Ayo A. Coly (2016), la double injonction à décoloniser les études queer et à poser un regard queer sur les études postcoloniales pose problème, dans la mesure où cela produit une réification du postulat selon lequel ces deux traditions académiques sont issues de géographies distinctes. Au contraire, Coly voit dans la situation postcoloniale, et plus particulièrement la ‘postcolonie’ telle que décrite par Achille Mbembe (2001), un assemblage baroque et parodique caractéristique du queer, en ce qu’il défie les barrières disciplinaires et les hiérarchies de pouvoir, notamment dans la convivialité existant entre le commandement et ses sujets. En même temps, pour Coly, Mbembe ne parvient pas totalement à capter la dimension queer de la postcolonie, notamment du fait de sa fixation sur la virilité et ses symboles (pénétration et phallus). Comment cette esthétique de l’excès et de la corporalité du pouvoir s’incarne-t-elle dans les littératures et les arts africains ? Quelle place occupe le baroque, le carnavalesque, les thématiques de subversion et de travestissement dans les littératures africaines ?

B.    L’Utopie

Parmi les segments les plus féconds des théories queer, les questions d’histoire, de conscience historique, de futurité et d’utopie ont été soulevées par des auteurs divers tels que Lee Edelman, José Esteban Muñoz et Carla Freccero. En questionnant la naturalisation de la famille hétéronormée, les études queer interrogent en effet le champ de la reproduction biologique et sociale, de la transmission et de l’horizon émancipatoire. Ainsi, si Lee Edelman considère la pensée queer comme profondément nihiliste car tournée vers la jouissance et refusant le concept néo-libéral du ‘bien commun’, de nombreux auteurs ont préféré insister sur la dimension utopique d’une pensée queer occupée à construire un futur émancipatoire à partir du rejet des normes de genre et de sexualité. L’utopie devient alors un pan de l’esthétique queer en donnant une place centrale à l’imagination et à la création de futurs échappant aux carcans normatifs et offrant une place centrale aux questions de désirs et de plaisirs.
Les artistes engagés africains insistent également sur l’importance de constituer une archive visuelle et textuelle queer permettant de documenter les vies de ceux qui ne se conforment pas aux normes de genre et de sexe, afin de récuser l’idée selon laquelle le queer est toujours importé, étranger, extrinsèque, et permettre au contraire l’auto-référentialité. Pour José Esteban Muñoz (2009), inspiré par Ernst Bloch, la constitution d’une conscience historique est perçue en outre comme la condition nécessaire d’une pensée utopique concrète, forgée à partir d’une analyse contextualisée des luttes sociales, politiques et culturelles.

C. Conceptualisations africaines

Même si la terminologie queer et plus généralement LGBTQ+ s’est aujourd’hui imposée à l’échelle internationale, elle a été précédée dans de nombreuses langues africaines par des concepts sociaux non normatifs pointant une fluidité identitaire au-delà des genres et sexes binaires. Qu’il s’agisse des goor-jigéen en wolof, des yan daudu en hausa ou de l’institution des mariages entre femmes dans la culture igbo liés au statut de ‘fille mâle’, quelle est la pertinence du lexique queer pour appréhender et analyser les conceptualisations culturelles portées par ces terminologies africaines, et leurs implications sociales ? Quelle est aujourd’hui la portée des conceptualisations africaines locales dans les luttes LGBTQ+ ? Quelles sont les alternatives ‘traditionnelles’ et/ou ‘futuristes’ que la pensée africaine peut offrir afin d’enrichir ou de transgresser un vocabulaire queer qui a tendance lui-même à s’imposer comme une nouvelle norme du politiquement correct ? Comment ces concepts africains sont-ils traduits et négociés par la fiction, surtout dans une littérature qui a largement recours aux langues européennes ?

Les propositions de panels (quatre communications rassemblées au maximum) ou de communications (titre et résumé d’une page maximum) sont attendues pour le 30 novembre 2020 au plus tard, accompagnées de vos nom, prénom, affiliation et contact électronique.
La langue principale du congrès sera le français, toutefois il est possible de proposer des communications et panels en anglais. Veuillez adresser vos propositions à :
iaaw.queer.apela@hu-berlin.de

Comité d’organisation :

Dorothée Boulanger (University of Oxford)
Boneace Chagara (HU-Berlin)
Ibou Diop (Humboldt-Forum)
Susanne Gehrmann (HU-Berlin)
Josephine Karge (HU-Berlin)
Margarita Mestscherjakow (HU-Berlin)
Pepetual Mforbe Chiangong (HU-Berlin)
Clara Schumann (HU-Berlin)
Isabel Schröder (HU-Berlin)
Marjolaine Unter Ecker (Université Aix-Marseille)

Comité scientifique :

Markus Arnold (University of Cape Town)
Dorothée Boulanger (University of Oxford)
Laurel Braddock (FU-Berlin)
Sarah Burnautzki (Universität Heidelberg)
Xavier Garnier (Sorbonne Nouvelle, Paris 3)
Susanne Gehrmann (HU-Berlin)
Claudia Gronemann (Universität Mannheim)
Catherine Mazauric (Université Aix-Marseille)
Aminata Mbaye (Universität Bayreuth)
Gibson Ncube (University of Zimbabwe)